"Il est un photographe qui se passe la plupart du temps de la présence humaine, qui souvent déserte la ville, et fouille les éléments primordiaux, terre, eau, feu, montagnes et océans, à la recherche d’un paroxysme du paysage.
Eric Chabrely sait être comme seul au monde. Ses voyages le mènent parfois au plus près, du Médoc à Saint-Emilion, ou en un lointain jamais vu, de l’Islande à Hawaï. Il en rapporte des photographies qui sont comme une montée silencieuse des choses, figées, arrêtées à un moment privilégié de leur être. Il arrive à faire poser quelque chose d’un monde primordial, de celui auquel nous n’avons pas directement accès, quelque chose qui est bien là mais que nous ne percevons pas. Qu’il s’approche au plus prés de fleurs, des sables, qu’il s’éloigne pour embrasser le panorama de montagnes islandaises il nous invite en une représentation inouïe qui nous laisse incrédule devant ces mondes pourtant familiers mais jamais vus.
Le regard concentré il force les cadrages, enserrant le strict nécessaire qui peut parfois référer à la peinture ou à la sculpture : des arrières plans de Léonard de Vinci qui se révèlent dans les paysages islandais, les Portes de l’Enfer de Rodin qui se suggèrent dans les laves d’un volcan à Hawaï. A moins que les vignes d’hiver ne dessinent des lignes noires affirmées, l’espace blanchi, mobiles en Calder. Ou encore, aller croiser dans les chairs marines de l'huître ou la pieuvre les fantasmes de Pierre Molinier. Comme si le monde enfermait en lui-même toute une propension aux beaux-arts qu’il suffisait d’aller débusquer.
On pourrait dire qu’il peint, dessine, sculpte en photographe. Ce qui serait confirmé par ce petit jeu ou il invente des visages-masques intitulés « Portraits » en renversant à la verticale des paysages disposés côte à côte en symétrie, montrant ainsi « des Pays » comme on dit de ceux qui sont d’un ici.
Mais sans doute l’essentiel se tient il dans sa volonté d’outrer le réel, voire de le détrousser, le renverser pour aller y voir sous ses jupons, curieux de sa matérialité, ses mouvements, ses rythmes. Et si parfois à l’autre bout du monde il est dans la rencontre avec ce qu’on a appelé « le sublime », les formes extrêmes de la nature, il peut tout aussi bien se contenter de regarder la banalité même de la rosée ou des flaques d’huiles sur une plage.
Bien loin de toute volonté démonstrative ou spectaculaire c’est comme en une lente montée vers nos regards que la photographie s’affirme. Sensiblement débusqué le motif issu de ce monde, une fois impressionné, travaillé, vient nous solliciter dans nos catégories perceptives sur ce qui en lui peut toujours constituer de la beauté."
CLAIRE PARIES, artiste, 2015